8

 

Voyant une nuée s’élever à l’ouest, vous dites aussitôt : « Une averse se prépare », et il en est ainsi. Voyant que souffle un vent du sud, vous dites : « la chaleur sera suffocante », et il en est ainsi. Hypocrites que vous êtes ! Vous savez fort bien juger la face des cieux et de la terre ; mais comment se fait-il que vous ne soyez pas capables de juger cette époque ?

Jésus.

 

La première chose qui s’inscrivit dans la mémoire de Crista Galli, quand elle ouvrit les yeux ce matin-là à Kalaloch, fut la manière dont la lumière jouait sur les incrustations du bol et sur la main de Ben Ozette qui la tenait. Elle aurait voulu que cette main la touche, effleure sa joue ou se pose sur son épaule. C’était un spectacle si paisible, cette main qui tenait le bol en équilibre sur son genou, qu’elle demeura un bon moment immobile à le contempler, se demandant s’il n’allait pas s’endormir après l’avoir ainsi veillée toute la nuit. Mais elle frissonna à l’idée qu’il était assis dans l’un de ces horribles meubles îliens à moitié vivants, ces créatures qu’ils appelaient des « canisièges ».

Kalaloch, au-dehors, s’éveillait lentement elle aussi. Crista entendit la foule en mouvement, le bruit ahanant des moteurs qui se mettaient en marche, des pelleteuses et des excavatrices qui se préparaient à une nouvelle journée de travail à la périphérie. En même temps qu’elle, les affamés, les sans-abri d’une douzaine d’îles échouées sortaient de leur sommeil pour retrouver les dures réalités des faubourgs miséreux de Kalaloch.

Crista tendit l’oreille pour écouter la respiration proche, tranquille et chaleureuse de Ben Ozette.

Mon Dieu ! se dit-elle. Si je l’avais tué ?

Elle étouffa un rire, imaginant le titre que Ben lui-même aurait pu rédiger : « Notre présentateur bien connu du journal du soir, Ben Ozette, est décédé hier soir, des suites d’un baiser, alors qu’il effectuait un reportage…» La chaleur, la saveur de ce baiser étaient encore présentes dans son esprit. C’était son premier baiser, celui qu’elle n’attendait presque plus.

Il n’y avait pas eu d’effets secondaires pour Ben. Elle attribuait cela à l’action de l’antidote que lui administrait quotidiennement Flatterie et qui se trouvait toujours dans son organisme. Cependant, elle avait reçu, en même temps que le baiser de Ben, une cascade d’informations sur son passé, ses souvenirs, ses « craintes, ses émotions, qui la paralysait par la force et la clarté inattendue de son jaillissement.

Il y avait des côtés de la vie de Ben sur lesquels elle préférait ne pas s’attarder. Son premier baiser, avec une jolie rousse ; son dernier en date, avec Béatriz Tatoosh. Ces deux-là et bien d’autres avaient laissé leur trace sur ses propres lèvres. Elle avait assisté, à travers la mémoire de ses cellules, à la première fois où il avait fait l’amour. Elle avait contemplé sa naissance, le naufrage de l’île de Guemes, la mort de ses parents. Tous les souvenirs de Ben imprégnaient maintenant ses cellules et n’attendaient qu’un déclencheur émotionnel pour remonter à la surface de la conscience de Crista.

Elle avait reçu tout cela dans un baiser, trop abasourdie pour lui en parler. Ses rêves, cette nuit, avaient été ceux de Ben, nourris par le contenu de sa mémoire. Elle avait vu la Voix de l’Ombre telle qu’il la voyait, comme l’organe de vérité d’un corps perclus de mensonge. Elle savait qu’il était, comme elle, vulnérable et isolé, et qu’il avait une vie à mener pour les autres. Elle ne voulait pas lui cacher cela, le fait qu’elle possédait maintenant sa vie. Elle ne voulait pas le perdre maintenant qu’ils s’étaient finalement trouvés et elle ne voulait pas non plus être la cause de sa mort.

Ben n’avait pas eu peur du « choc électrique », comme tout le monde appelait le contact mortel dont le varech était censé avoir insidieusement doté son métabolisme et dont il était lui-même doté dans certaines de ses variétés. Quelquefois, elle n’y croyait pas trop elle-même. Flatterie avait mis au point un antidote qu’il veillait à lui administrer chaque jour et qui ne diminuait nullement l’intensité des signaux chimiques, par exemple les souvenirs de Ben, qu’elle pouvait recevoir. Il n’agissait, en les affaiblissant, que sur ceux que son organisme émettait. Cependant, personne n’avait encore osé la toucher et tous ceux qui étaient chargés de s’occuper d’elle, dans la résidence de Flatterie, s’étaient prudemment tenus à bonne distance.

C’était la première fois qu’elle ne se réveillait pas entourée d’une armée de personnes chargées de s’occuper d’elle et de lui faire passer d’interminables tests, pour faire face aux redoutables obligations d’une prisonnière sacrée dans la maison du Directeur. Elle avait dormi du sommeil heureux et rafraîchissant du nouveau-né malgré leur fuite mouvementée, leur recherche d’une cachette et son premier baiser. Pour l’heure, son estomac se rappelait à elle tandis que montait jusqu’à la cabine le délicieux arôme du café mêlé à ceux du pain chaud et des pâtisseries.

Quelque part au-dessous d’elle, des chébettes grésillaient sur le gril. La viande était une chose dont elle avait absolument besoin. Les techs du labo de Flatterie lui avaient expliqué la chose dans un jargon confus où il était question des gènes d’Avata qui contrecarraient sa faculté de synthèse des protéines, mais elle la ressentait simplement comme de la faim. Elle avait faim de toutes sortes de choses. De fruits frais en tous genres, de noix, de graines. La seule pensée d’une salade lui faisait, depuis toujours, horreur.

Bien que leur fuite se fût déroulée en pleine nuit, Crista avait mémorisé le chemin souterrain qui les avait menés de la garenne complexe du Périmètre jusqu’à cette communauté îlienne de Kalaloch. Cela lui rappelait le labyrinthe des artères du varech sous la mer. Elle ne savait rien de la géographie locale, si ce n’est qu’elle se trouvait non loin de la mer et que cela répondait à une autre sorte de faim dont elle sentait les borborygmes au plus profond d’elle.

Elle percevait, en ce moment même, le pouls humide de l’océan par-dessus le brouhaha des marchands ambulants et de l’animation du matin qui ne cessait de s’amplifier. Les Pandoriens étaient des gens de l’aube, disait-on, mais jamais pressés. Pourquoi des affamés perpétuels devraient-ils se presser ? Seuls quelques-uns continuaient à vivre sur leurs îles organiques traditionnelles. Dériver sur la mer était devenu bien trop dangereux en ces temps de reliefs côtiers tourmentés et de couloirs de circulation marine encombrés de varech. La plupart de ceux qui s’étaient installés côté sol continuaient à se faire appeler « Iliens » et conservaient leur ancienne manière de vivre et de s’habiller. Les Iliens que Crista avait connus dans le Périmètre étaient soit des domestiques, soit des gardes de la sécurité. Ils ne parlaient jamais de leur vie au-delà des murailles de basalte de Flatterie. Beaucoup présentaient des signes de monstrueuses mutations qui horrifiaient Flatterie mais étaient pour elle des objets de fascination.

Crista Galli remonta la couverture jusqu’à son menton et s’étira sur le dos, se déployant à la lumière du soleil, consciente d’un nouveau sens de la pudeur en présence de Ben Ozette. Elle avait emmagasiné dans sa tête toutes les circonstances intimes de son existence et elle avait peur, à présent, de ses réactions s’il l’apprenait. Elle se sentit rougir, se faisant l’effet d’une voyeuse, à l’évocation de la première nuit de Ben avec Béatriz.

Les hommes sont étranges, se disait-elle. Il l’avait amenée ici pour fuir la sécurité de Vashon et le Directeur, il lui avait assuré qu’ils ne risquaient plus d’être découverts dans cette cabine, et puis il avait passé toute la nuit à côté d’elle, dans ce fauteuil, au lieu de se glisser dans le lit avec elle. Il avait déjà fait la preuve qu’il était immunisé contre son contact mortel, et elle avait aimé son baiser autant que l’audace qu’il contenait.

Les prévenances des autres hommes à son égard, celles du Directeur, entre autres, lui donnaient la mesure du pouvoir exercé par sa beauté. Ben Ozette avait été immédiatement attiré par elle, cela avait été clair dès l’instant où leurs regards s’étaient croisés pour la première fois. Ses yeux étaient verts, un peu comme les siens mais en plus foncé. Elle chérissait le souvenir magique de cet unique baiser qu’il lui avait donné avant qu’elle s’endorme. Elle chérissait aussi tous les souvenirs qui étaient maintenant les siens, ceux de sa famille, ses amis, ses maîtresses…

Sa rêverie fut interrompue par un cri perçant qui montait de la rue, puis par un long gémissement aigu qui lui glaça le sang en dépit de la chaleur du lit. Elle demeura immobile tandis que Ben posait son bol et se levait pour aller jusqu’à la fenêtre.

Ils ont trouvé quelqu’un, se dit Crista. Quelqu’un qui s’est fait tuer.

Ben lui avait parlé de ces cadavres que l’on découvrait dans les rues au petit matin. Mais c’était quelque chose qui était trop éloigné de sa propre vie pour qu’elle pût l’imaginer.

« Les escadrons de la mort les laissent ainsi pour qu’ils servent de leçon au peuple, avait-il dit. Les gens trouvent les cadavres quand ils partent au travail le matin ou quand ils conduisent leurs enfants à la crèche. Certains n’ont plus de mains, ou de langue, ou de tête. D’autres sont obscènement mutilés. Si quelqu’un s’arrête pour regarder, on l’emmène pour l’interroger. Vous connaissez cet homme ? Suivez-nous. Et comme personne n’y tient, personne ne s’arrête. Plus tard, une épouse ou une mère ou un fils reçoit une notification et doit faire enlever le corps. »

Ben avait vu des centaines de cadavres de ce genre à l’occasion de ses déplacements professionnels. Elle les avait aperçus la veille dans sa mémoire, lorsque celle-ci s’était déversée d’un seul coup dans la sienne. Le hurlement qu’elle avait entendu tout à l’heure devait être celui d’une mère qui venait de découvrir son fils mort. Crista n’avait aucune envie d’aller regarder par la fenêtre. Ben revint prendre sa place à côté d’elle.

Avait-il vu lui aussi quelque chose d’elle quand il l’avait embrassée ? Cela arrivait quelquefois avec le varech, mais presque jamais avec elle. C’était cependant arrivé à d’autres personnes qui l’avaient touchée. Il y avait eu, d’abord, le choc incrédule, les yeux écarquillés, puis le regard vitreux et les tremblements. En dernier lieu, la prise de conscience accompagnée de la terreur la plus pure. Pour ceux qui avaient eu la chance de reprendre conscience.

Que leur ai-je montré ? se demandait-elle. Et pourquoi à certains et pas à d’autres ? Elle avait étudié l’histoire du varech, mais n’y avait trouvé aucune réponse, pas le plus petit réconfort. Elle rageait encore de la remarque faite par un obscur tech à propos de son « arbre généalogique ».

Elle n’avait pas oublié comment elle avait été maintenue en vie, dans les profondeurs, par les filaments du varech qui s’insinuaient dans les moindres replis de son corps. Elle recevait les soins des mystérieux « Ondins », ces créatures à moitié mythologiques provenant des plus sévères mutations humaines. Totalement adaptés à leur vie marine, les Ondins ressemblaient plus à des salamandres géantes munies d’ouïes qu’à des humains. Ils vivaient dans des cavernes, des Oracles, des avant-postes Siréniens abandonnés ou quelquefois dans les lagons du varech. Crista avait fait partie du varech, plus que de l’humanité, durant ses dix-neuf premières années. Il y avait des gens, dans l’entourage de Flatterie, qui pensaient qu’elle avait été intégralement fabriquée par le varech, mais elle-même ne pouvait pas y croire.

Beaucoup d’autres Pandoriens, y compris Ben lui-même, avaient reçu du varech le gène des yeux verts. Avec sa taille d’un mètre cinquante ou un peu plus, Crista pouvait regarder au-dessus de la tête de la plupart des femmes de Pandore et fixer presque tous les hommes dans les yeux. Le réseau de veines bleues à la surface de sa peau était à peine plus visible que chez la plupart des gens parce qu’elle avait le teint suffisamment pâle pour être diaphane. Le sang qui coulait en elle était rouge, riche en fer et incontestablement humain. Le fait avait été établi dès le premier jour où elle avait quitté le varech.

Ses lèvres pleines formaient, quand elle méditait, une petite moue qui évoquait un baiser. Son nez fin et droit s’évasait aux narines, qui s’écartaient encore plus quand elle se mettait en colère. Encore une émotion à laquelle elle n’avait pas osé donner libre cours quand elle était entourée par les gens de Flatterie.

Crista avait été éduquée au contact du varech, qui avait infusé en elle certains fragments de la mémoire génétique des humains qu’il avait connus. Avant que Flatterie ne prenne le pouvoir, la plupart des humains n’entraient en contact avec le varech que lorsqu’ils étaient ensevelis dans l’océan. Elle était en ce moment obligée d’opposer une barrière mentale au flot de souvenirs apportés par le bruit des vagues qui roulaient sur la grève non loin de là. Elle s’accorda un bâillement langoureux, s’étira de nouveau puis se tourna vers Ben.

— Tu as veillé toute la nuit ?

— Je n’aurais pas pu dormir, de toute manière.

Il se leva lentement, exerçant ses membres ankylosés, puis s’assit sur le bord du lit.

Crista se redressa et appuya la tête contre son épaule. Les bruits affolés sous leur fenêtre avaient cessé. Ils étaient face au plaz, à la riche lumière du matin qui venait de la mer, et Crista se sentait bercée, sur le point de se rendormir, par la chaleur qui irradiait de la fenêtre, par le bien-être que lui procurait la proximité de Ben et par les appels mélodieux des marchands ambulants. Au loin, elle entendait le grondement des engins de terrassement qui déchiraient les collines.

— Est-ce qu’on va bientôt partir d’ici ? demanda-t-elle.

Elle se sentait revigorée par le soleil, par le clapotis des vagues contre le mur en bas et par le fumet des chébettes grillées qui flottait dans l’air. Les années d’emprisonnement et de mensonges dans la maison du Directeur la traversèrent comme un flot de sang glacé.

Chaque matin où elle s’était éveillée dans cette prison dorée, elle n’avait eu envie de rien d’autre que se recroqueviller sous les couvertures pour dormir encore. Aujourd’hui, où que puisse aller Ben Ozette, elle irait avec lui.

Quelqu’un siffla, derrière leur porte, une brève phrase musicale répétée une fois. C’était le même genre de langage sifflé que celui qu’elle avait entendu la veille côté quai.

Ozette émit un grognement et frappa deux coups sur le sol. Un nouveau sifflement lui répondit.

— Ce sont les nôtres, dit-il. Ils viendront nous chercher ce matin. J’aurais aimé te faire visiter les environs, mais ce sera pour une autre fois. Rico s’occupe de tout organiser. Le monde entier est maintenant au courant de ta disparition. La prime pour celui qui te ramènera, et qui ramènera ma tête, sera assez élevée pour tenter même les braves gens – quel que soit leur bord. La faim est partout.

— Je ne pourrai jamais retourner là-bas, dit-elle. Je ne veux pas. J’ai vu le ciel. Et tu m’as embrassée…

Il lui sourit et lui offrit une gorgée de son eau. Mais il ne l’embrassa pas.

Elle savait qu’il serait tué s’il était pris et que Flatterie avait déjà signé son arrêt de mort. Le Syndicat des Guerriers se chargerait de la chose comme il s’était déjà, probablement, chargé des domestiques et de quelques autres à la résidence.

La veille, après avoir émergé du réseau souterrain, ils s’étaient glissés d’un immeuble à l’autre le long des quais, évitant soigneusement les patrouilles qui veillaient à l’application du couvre-feu de Flatterie. Crista s’était arrêtée, à un moment, pour regarder les étoiles et les lunes visibles de Pandore. Elle avait laissé la brise fraîche lui caresser le visage et les bras, elle avait senti l’odeur de charbon qui s’exhalait des cheminées des pauvres et vu les étoiles avec l’atmosphère seule pour écran.

— Je voudrais aller faire un tour dehors, murmura-t-elle. Est-ce qu’on ne pourrait pas descendre dans la rue ?

La réponse du Directeur à une telle requête avait été systématiquement : « non ». Toujours « non ».

« C’est à cause des démons, lui disait-on au début. Ils ne feraient de vous qu’une bouchée. » Ou bien, plus tard : « Les Enfants de l’Ombre cherchent à vous tuer. » Et, dernièrement, le Directeur en personne lui avait affirmé : « On ne peut pas les reconnaître. Ils peuvent prendre l’apparence de n’importe quelle personne. Ce serait horrible si ces monstres vous enfonçaient leurs crochets partout. »

Le Directeur avait, en prononçant ces mots, un regard particulier qui la glaçait de terreur, même si c’était pour lui dire qu’il n’y avait au monde personne d’autre que lui pour la protéger et qu’elle ne pouvait faire confiance à personne en dehors de lui. Durant la plus grande partie de ces cinq années, elle l’avait cru. Mais la Voix de l’Ombre avait changé tout cela. Puis Ben Ozette était venu réaliser son reportage et elle s’était rendu compte que la seule raison pour laquelle Flatterie interdisait son contact à quiconque était la terreur qu’il avait de la voir apprendre quelque chose à son sujet ou à celui de son entourage, et de percer à jour son tissu de mensonges.

— Oui, lui dit Ben. Nous allons descendre bientôt. Le coin va vite devenir malsain pour nous.

Il se raidit soudain et jura entre ses dents. Il lui montra une patrouille de la sécurité de Vashon qui se dirigeait, le long du quai, vers la taverne. Deux hommes de chaque côté de la rue. Ils communiquaient une immobilité insidieuse à l’océan agité des passants et des acheteurs devant les étals du marché. La foule des travailleurs qui se dirigeaient vers les transbordeurs se scindait en deux à leur approche, sans les effleurer.

Chaque garde avait à l’épaule un laser léger et à la ceinture une panoplie d’instruments de sa profession : matraque pour le combat rapproché, recharges pour les lasers, plus divers procédés éprouvés d’immobilisation mécanique ou chimique. Chacun portait aussi des lunettes-miroirs, image de marque du Syndicat des Guerriers, la meute d’assassins chargés des basses œuvres du Directeur. Parmi la foule, certains souriaient ou secouaient la tête ou haussaient les épaules. D’autres se faisaient tout petits.

Crista les regarda s’avancer dans la rue qui longeait le quai et sentit se hérisser les poils de ses bras et de sa nuque.

— Ne t’inquiète pas, lui dit Ben comme s’il lisait dans sa pensée. Et avec sa main posée ainsi sur son épaule nue, elle était presque prête à croire que c’était bien le cas, qu’il était capable de lire dans ses pensées ou tout au moins d’interpréter ses émotions. Elle adorait le contact de sa main. Elle sentait pénétrer, à travers sa peau, un nouveau flot de son existence, qui s’engrangeait quelque part dans son cerveau tandis qu’elle continuait à surveiller la rue.

La patrouille postait tour à tour un homme devant chaque entrée d’immeuble tandis qu’un autre perquisitionnait à l’intérieur. Ils se rapprochaient ainsi peu à peu.

— Que faisons-nous ? demanda-t-elle.

Il se baissa pour prendre, de l’autre côté du lit, un paquet de vêtements îliens qu’il lui tendit.

— Habille-toi. Surveille-les, mais ne t’approche pas trop du plaz. Il y eut soudain un whouf ! et une lueur orange en provenance du port, puis un nuage de fumée noire s’éleva. La rue se transforma en quelques instants. Tout le monde courait vers le port et vers les équipements d’incendie. Les Pandoriens utilisaient depuis longtemps l’hydrogène pour alimenter leurs moteurs, leurs appareils de chauffage, leurs chalumeaux à souder et leurs centrales d’énergie. Il y avait un peu partout des réservoirs d’hydrogène, et le feu était un de leurs ennemis les plus redoutés.

— Que s’est-il…

— Un vieux coracle, lui dit Ben. Immatriculé à mon nom. Cela devrait les occuper quelque temps. Avec un peu de chance, ils croiront que nous étions à bord.

Un nouveau whouf ! coupa la respiration de Crista. Tandis qu’elle enfilait les vêtements rugueux, elle vit que la patrouille de la sécurité n’avait pas disparu dans la foule. Elle continuait sa fouille méthodique d’un immeuble à l’autre. La rue était maintenant à peu près déserte. Tous ceux qui étaient capables de marcher étaient allés combattre le feu ou mettre leurs bateaux en sécurité.

Tandis que Ben regardait par la baie de plaz, Crista passa un lourd corsage de coton blanc brodé qui était nettement trop grand pour elle. Ses seins, qui n’étaient pourtant pas petits, flottaient à l’intérieur. Le pantalon de coton qui allait avec le corsage était si large à la taille qu’il aurait pu en contenir deux comme elle.

— Comment vais-je faire pour tenir ça ? demanda-t-elle en l’écartant de son ventre plat.

Il lui jeta une tenue de travail îlienne d’une seule pièce, à peu près semblable à celle qu’il portait. Puis il sortit d’un tiroir une large ceinture tissée qu’il lui tendit.

— Je ne sais pas comment t’expliquer. Tu es enceinte. Depuis un bon moment.

Comme elle ne comprenait pas où il voulait en venir, il expliqua :

— Enroule cette tenue de travail autour de ta taille jusqu’à ce qu’elle remplisse le pantalon. Tu en auras besoin plus tard. Pour l’instant, tu es une Ilienne qui attend un enfant pour bientôt et je suis ton homme.

Elle fit comme il lui disait et ajusta l’élastique de son pantalon. Elle se regarda dans le miroir près de la porte. Elle avait vraiment l’air enceinte.

Elle s’admira dans la glace tandis que Ben lui entourait la tête d’un long foulard rouge dont il laissa retomber les bouts entre ses omoplates. Il portait les mêmes broderies géométriques que le corsage.

Mon homme, se dit Crista. Et nous nous habillons pour sortir.

Elle tapota affectueusement son ventre et y laissa la main un instant, s’attendant presque à y sentir quelque chose bouger. Derrière elle, Ben lui ajustait un bandeau assorti autour du front. Puis il lui tendit un chapeau de paille à bord souple.

— C’est ainsi que s’habillent les gens de mon île natale, expliqua-t-il. As-tu déjà entendu parler de Guemes ?

— Naturellement. Elle a coulé juste l’année avant ma naissance.

— C’est exact. Tu es l’épouse enceinte d’un survivant de la catastrophe. Tous les Iliens te manifesteront le plus grand respect. Chez les Siréniens, tu seras traitée avec une considération dictée par la culpabilité. Quant aux gens de Flatterie, comme tu le sais, tout cela leur est complètement indifférent. Et nous n’avons pas de papiers. Pas eu le temps…

Deux sifflements derrière leur porte. De tonalités différentes.

— C’est Rico, dit-il, souriant en même temps qu’elle. Tu vas pouvoir enfin descendre dans la rue.

Le Facteur ascension
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